Spectacle et limites de la participation Yann Trisomie

Publié le par Jaz

spectacle

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Il y avait déjà eu un spectacle auquel j'avais assisté quand il avait 18 ans et j'avais remarqué la façon dont il avait assimilé les règles proposées, étant même le meneur du groupe en quelque sorte...

Quelques années plus tard me voilà embarquée dans une journée avec lui, spectacle de danses africaines puis de percussions avec caisses exotiques, djembes, xylophone, tambourins, maracas etc après le pique nique partagé au jardin des associations de M*.

Aïe aïe! Yann a 22 ans maintenant et a le plus grand mal à ne pas suivre son désir et ainsi à ne pas se mettre en avant lorsque ce n'est plus son groupe qui joue car il participe à tous les spectacles, "à fond" si l'on peut dire. Il suit ses pulsions. Le "prof", très tolérant et compréhensif,  lui a demandé de se mettre dans un renfoncement pour les accompagner en se balançant en rythme avec une grande énergie qui le fait avancer progressivement vers l'espace où jouent les participants des autres groupes, balancement qui correspond à sa stéréotype rythmique d'avant en arrière, chargée d'énergie qui avait été si difficile à transférer dans d'autres registres. C'est comme si pris dans son mouvement il ne se contrôlait plus, entrait en transe. Un derviche "balanceur" en quelque sorte.

En danse africaine déjà, il s'était singularisé car, ne pouvant l'empêcher, son prof avait intégré son "impro" au spectacle : il saute, se balance,  etc et finit sur un geste d'ouverture, comme d'offrande, une sorte de danse des rues personnelle, comme il l'avait fait déjà, encore et toujours mais de plus en plus puissante... jusqu'à l'arrêt des instruments lorsqu'il est au milieu de la scène et clôt le spectacle attendant les applaudissements.

Comment lui faire comprendre qu'il ne peut être le centre du spectacle, qu'il doit s'en tenir à la place et au rôle qu'on lui donne? A plus forte raison lorsqu'il est censé ne plus en faire partie. Là où les animateurs échouent à le faire obéir à une consigne au point de composer avec ses interventions intempestives en les intégrant au programme, pourrons-nous obtenir un minimum de contrôle ?
Yann n'est pas replié sur lui-même comme tant d'autres mais ne peut s'empêcher de réagir soit par des commentaires énonciatifs soit par d'autres modes d'expression que le langage verbal au grand dam des convenances...

Trisomique mais pas que...

Nous étions sortis des rituels ce jour là car j'avais été retenue chez le pharmacien et il s'était installé devant une cible s'entraînant à viser pendant que sa mère prenait le café en discutant avec M`. Il "répond" à une remarque qu'on lui fait ce qui ouvre au thème que j'ai prévu pour le jour "ne pas... répondre"  si un "adulte" lui demande de faire quelque chose, qui rejoint le fait de "ne pas ... faire" autre chose que ce qu'on lui demande.

Lorsque nous allons travailler au bureau, je lui demande comment vas-tu?

Il ne sait pas répondre aussi j'essaie de lui faire répéter 'Bien! merci ! et toi?

Sa mère arrive et ajoute à la formule (elle n'est pas dyslexique, économie de mots quand tu nous tiens) 'je vais...', ce que j'ajoute dans mon texte.

Et j'annonce, 'on va parler de samedi'.

sa mère reformule alors la question : 'qu'est-ce que tu as fait samedi?'

Yann met la tête dans ses mains sur la table, ne voulant pas répondre. Je le fait redresser, enlever sa sacoche, lui demande de prendre ses photos, mais il ne les a plus (sa mère les a transférées sur l'ordinateur pour son projet "album de vie"). Nous prendrons donc les miennes. 

Je me lance alors dans le dessin pour rappeler et mettre en scène la situation dont on va parler.

Je le dessine très vite derrière le trait qui figure le mur, le séparant des musiciens tout en plaçant mon discours "cadrant". 'Tu reste de côté' (j'étais allée le rejoindre pour essayer de le retenir, lors du passage du dernier groupe. Mais il ne faut pas le toucher, et quant à le retenir il résiste à toute tentative). Donc puisqu'en situation c'était impossible, passer par le langage en s'appuyant sur une scène en image, nous a permis d'avancer dans le domaine de poser ce fameux cadre par rapport à ses comportements impulsifs, en particulier s'ils entrent dans le cadre de ses thèmes obsessionnels (pokémons, kaplas), et côté écriture, hiéroglyphes voire caractères chinois et rythmes.

mise en place du mot en parole et écriture
mise en place du mot en parole et écriture
mise en place du mot en parole et écriture

mise en place du mot en parole et écriture

Le corpus oral/écrit du jour

Yann ne peut dire ni répéter "spectacle", dans sa bouche cela devient "SÈ TA" ce que j'écris avec les lettres de Jarnac. Il va devoir compléter ce qui manque en passant par l'épellation des sons pour lesquels il doit retrouver la lettre (de l'oral vers l'écrit).

Nous nous y mettons à 2, sa mère et moi pour lui faire entendre ssssssssssssssssssss il prend le S dans le couvercle où se trouvent les lettres, mélangées, retournées... Je prononce p ensuite en faisant le geste et en reprenant le son de sp. Il prend le P, de lui même il ajoute le E mais sa mère a peut-être dit le nom de la lettre. Je continue avec le son k et je lui montre que dans le geste il y a la forme du c pour appuyer sa recherche que je dirige. On arrive au 2e /K/, il sort Q G H et enfin C, et quand il entend le l, il sort L en mettant d'office là encore le E.

Il veut ensuite tout de suite écrire ce qu'il prononce "lapata"

Je dis 'la tu sais écrire'. Il ne m'écoute pas et écrit VA RA RA TR. Il réalise qu'il manque un A entre TR, en espaçant et réorganisant laborieusement les lettres de AVATAR.

Je décide de le lui faire apprendre, ce qui veut dire répéter, en regardant jusqu'à 10 fois, puis , en fermant les yeux. Réticent il se décide à l'apprendre et le cache avec sa main en essayant de le répéter avec beaucoup de souffrance : il se force vraiment.

On revient à spectacle qui reste /se ta/ puis /es pe ta/.

Je laisse tomber et lui demande ce qu'il veut écrire

"un réro"

"ariro" RO pour rio, on complète et il le lit "riro".

puis annonce "le baraké" pour perroquet. Au lieu de l'écrire il raconte :  "S'appelait bloum", on ne comprend pas la suite.

puis prend P puis va le placer après CA et nous reconstituons cap oei ra car il a sorti RA. Il n'a donc pas mémorisé la façon d'écrire du son voyelle. Nous l'aidons CAPOEIRA.

- "les deux Brésil"

Puis il sort KAPLA "zé trouvé"

- Il écrit RIZ qu'il connait globalement

- cherche un autre S sur la table et écrit avec des lettres déjà sorties : NCIS

Ce corpus permet d'éclairer ses difficultés à mémoriser le schème d'un mot pourtant souvent écrit qu'il connait bien. Il ne veut pas du tableau de correspondance lettre / son mais il n'a pas de stratégie stable.
Sur le plan de l'évocation il fonctionne sur un mode associatif pour retomber sur des mots qu'il sait écrire en s'échappant de la tâche telle qu'on la lui présente, identifier un son isolé et la ou les lettres qui lui correspondent.

La séance qui voulait se concentrer sur la conduite à avoir à un spectacle qui n'est pas centré sur lui a-t-elle porté ses fruits ?
Le dimanche suivant est le jour de la fête de son IME et il y aura un spectacle ? Comment va-t-il se comporter ?
Le corpus qui a suivi la tentative de faire passer le message de rester à sa place de spectateur nous confirme la part du fonctionnement associatif dans son évocation de mots qu'il sait en principe déjà écrire, même si sa façon d'appréhender leurs constituants est le plus souvent liée à des confusions de sons voisins ou à des automatismes syllabiques qui surgissent. Le tout dans un ordre aléatoire.

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