Handicapé mental sous influence?

Publié le par Jaz

Que faire?

Je n'ai pu m'empêcher de penser à "des souris et des hommes" de John Steinbeck et à Lennie...

Yann, 20 ans, trisomique mais pas seulement, est intégré maintenant dans une SAS. A cette rentrée, il a un comportement inadmissible aux yeux des responsables de l'établissement: devant tout le monde, il est allé "uriner" sur les bambous de la barrière de l'établissement et n'arrête pas de se frotter à un camarade qui s'en plaindrait.

Trisomique certes....

Que faire donc? Comment  préparer Yann à changer de comportement?

Lorsque les parents, convoqués, bien embarassés, évoquent la possibilité qu'il soit "sous influence" d'un camarade, on leur rétorque qu'il a du caractère en refusant de prendre en compte cette hypothèse. En effet, il s'oppose certes, mais comme un enfant de 3 ans... en tenant tête face à la hiérarchie, n'ayant pas intégré les règles pragmatiques du respect de l'autre... Ils pensent le connaitre de réputation mais tout le monde oublie (ou ignore) qu'il a fallu aller le chercher très loin pour entrer en communication avec lui lorsqu'il avait 9 ans, lui dont le comportement à notre première rencontre évoquait une sorte de petit animal sauvage en quelque sorte... sans parole, avec stéréotypies, hyperactivité etc....

Je retrouve Yann après le très long temps des vacances, 20 ans maintenant, tout heureux des photos prises à sa colo du mois d'août où il est allé, en tant que "grand". Nous allons pouvoir travailler avec le support de ce matériel mais il y a ce problème dont la mère a parlé au téléphone la veille... Comment l'aborder? D'abord, le thème des vacances, de la colo, son langage va-t-il lui permettre d'en parler?

Le langage du jour

Les activités en colo

Il a fait de l'escalade. Je n'avais pas compris aussi travaillons-nous à mettre en place les syllabes et le mot à notre habitude. Le 2e mot non identifiable non plus, travaillé ainsi, sera brochettes. Ceci pour la parole. Il "raconte à sa façon" l'image servant de déclencheur pour évoquer la situation. Alternance de couleur, la notation n'est pas phonétique (pas tout à fait je par exemple).

Description 1ère situation: escalade

J'ai mis mousqueton

J'accroche. Comme ça regarde ça.

C'est la corde? (il mime qu'il y grimpe)

Oui c'est une corde

J'ai monté la-haut. Et j'ai fait ça: hop hop. et je suis arrivé.

2e image au sommet. Avec qui? (Il sont 3 sur l'image)

...trice. J'sais pas son nom.

Théo.

Autre image de parapente

Là... chute... parapente

Je cours Je saute Je chute (=parachute)

Je vois des montagnes. Oui c'est ça.

Regarde c'est mon casque. J'ai rivé (=arrivé) aterri à drapeau. Oui des lignes là-bas.

Tu as eu peur?

Non j'ai pas peur.

Il me montre son aterrissage

Tombé par terre.

Autres images

- J'ai fait un golf

- été à la talie (= Italie)

- C'est toi qui pagaie!?

des rames

ne retrouve pas le nom de l'embarcation, ni les situations évoquant une activité dans l'eau, il n'y pensait pas. Sa mère dit "canoé".

c'est ça j'ai pris.

Quoi d'autre?

- béline (= bouling)

- Encore été cuisine

A fait, c'était cara de pâtes.

?...pas compris

cocara (= carbonara)

(à voix chuchotée): .pâtes à la dent

spagetti à la carbonara?

oui c'est ça.

Il ne sait pas dire brochettes.

Langage et cognition

Je lui propose une classification des nombreuses images restantes: enlever les photos où sont présents les éducateurs afin de rechercher le nom de ses camarades qu'il ne peut évoquer sans support.

On cherche donc les photos où figure Théo, encore Théo...

Puis ceux qui sont avec lui: Corentin. Jojo (surnom car il refuse le prénom proposé par sa mère qui rappelle qu'on l'appelle bien lui Yoyo).

On découvre Hacine, Royine (Aurélien) Julie (éducatrice d'un autre groupe). Vincent (d'un groupe plus large).

Sur d'autres des animaux qu'il évoque à partir de la photo d'un loup. un tin (bouquetin) pelu (il a rapporté une peluche)

Reste la question cruciale de lui faire comprendre qu'il ne suffit plus seulement de rester présent au lieu de partir dans son monde imaginaire où il "est" le Docteur Who, de différencier les baisers d'amour de ceux des salutations d'usage... mais de "cadrer" sa sexualité au delà des limites posées aux étreintes dans nos embrassades.

La question du "toucher"

Je découvre que ses parents n'auraient pas abordé frontalement ce type de questions, répondant au cas par cas des problèmes que pouvaient causer son comportement, et je ne sais plus trop comment je l'aborde à la base en parlant de "maman". Je crois me rappeler que la mère avait évoqué un "enfant" bouquetin, pas la maman. En effet lorsque j'évoque la sienne, il dit très vite en baissant la tête " ai pas de maman".

Je bondis sur un petit livre sur la sexualité que j'avais préparé au cas où... (le 1er, celui des enfants de maternelle) et rétorque "mais tout le monde a une maman, les bébés grandissent dans le ventre de la maman. Toi aussi, regarde." Si les mots ne portent pas avec lui, les images ont un impact, depuis toujours le dessin est au coeur de notre relation. Alors bien sûr, il "plonge".

J'ai déjà décrit ce comportement qui montre l'impact de ce qui se dit et qui le dérange. Cela s'est produit dans nos "discussions" sur grandir, l'argent etc...

Il aperçoit quelques images qui passent rapidement, montrant que le bébé grandit dans le ventre, sa sortie, j'en saute et arrive sur celle ou l'instit, que je commente comme un éducateur, intervient auprès de 2 enfants qui crient par "qu'est-ce qui se passe?" Là je lui laisse les images sous les yeux en lui lisant les bulles (tu peux lire avec moi) et commentant la situation évoquée: une dispute: "c'est lui qui a commencé. Il m'a tiré les cheveux" Je précise la situation "tu te disputes bien avec ta soeur!. Voyons que dit-il aux enfants?"

Quand on se sent mal on a aussi le droit de dire non!

Quand on se sent mal on a aussi le droit de dire non!

Au garçon: "Allons donc Maud n'a pas aimé que tu lui tires les cheveux, toi tu n'as pas aimé qu'elle te frappe. Personne n'aime se faire mal..."

Une discussion s'installe, les enfants interviennent... et le moniteur ajoute "on a le droit de dire non, pas juste quand ça fait mal! Quand ça déplait d'être touché..." Et chacun d'apporter sa pierre aux situations concernées, le baiser forcé, les grands qui serrent dans leurs bras, les chatouilles,  "moi j'aime pas que quelqu'un me touche quand je ne veux pas! Même si c'est quelqu'un que je connais" . Et l'adulte énonce les "règles" suivantes "un MAUVAIS toucher on se sent mal. on a le droit de dire NON. Même à quelqu'un qu'on connait... Et on peut en parler comme Maude l'a fait". Et le groupe en arrive au BON TOUCHER, "on se sent bien et on peut en parler aussi, comme vous le faites en ce moment."

Il est trop tard pour aller sur l'ordinateur. Mais Yann est tout à fait conscient d'être concerné par cette discussion. Ce sera à vérifier dans 15 jours, à la prochaine séance. Entre temps, il y a eu une réunion avec tous les parents et la maman a demandé s'il y avait un psychiâtre référent car j'avais envisagé de lui demander de l'aide le cas échéant (il n'a jamais été suivi par quelque psy que ce soit dans aucun de ses établissements). Je n'ai rencontré l'équipe qui le prenait en charge que l'année passée pour faire le point sur les difficultés d'intégration qu'il manifestait... et sa marginalité en vue de son intégration en SAS. Cela m'a permis de réorienter notre travail.

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE

Yann présente un langage réduit, "ai pas de maman" exprime son désir d'autonomie, et nous avons été amenés déjà à "travailler" autour du "principe de réalité", de la différenciation des situations où il pouvait "s'évader" ou non, dans l'environnement très protégé de l'établissement précédent. Ce qui a toujours posé problème, de mon point de vue, c'est le problème des consignes posées verbalement, et de plus collectivement. Il faut trouver la voie (et la voix) qui permettra au message de passer. Les mots restent vides de sens dans ce genre de situations pour ceux qui les prononcent, du langage tout fait. Sans parler de leur syntaxe. Yann est dans un langage de type énonciatif comme le situe bien les dialogues/récits introduisant cet article. Il n'a pas été éduqué dans un système mettant en jeu des neurones miroirs par l'imitation et la répéition, le conditonnement qui sécurise en particulier les trisomiques: il a toujours été difficile de lui faire répéter quoi que ce soit car sa parole n'évolue que très lentement.

Pour répondre à la question posée en début d'article, l'aspect fusionnel de ses relations affectives (il a un lien particulier à Tony qu'il connait depuis l'enfance, il semble qu'il se soit fait un nouvel ami, justement celui qui s'est plaint d'être frotté...) le rendrait influençable, dans des situations qui me semblent dominées par l'ambivalence des jeunes concernés à l'égard de ce genre de comportement. Deux autres livrets sur la sexualité l'attendraient jusqu'à l'âge adulte s'il n'était trisomique et avec un retard mental si important. Il est loin d'avoir la capacité de représentation et d'expression d'Artus qui a pu "raconter" "le cauchemar des filles" à l'adolescence. Comment l'aider à grandir sur ce plan?

A suivre sur le blog sos pour la séance suivante.

 

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